La coopération internationale est portée par de nouvelles dynamiques sud-sud, l'évolution des modèles de financement, et l'ancrage local pour la mise en œuvre des programmes. Face à ces transformations, l'incertitude grandissante liée tensions géopolitiques, aux effets grandissants du changement climatiques, et aux tremblement de la cohésion sociale à différents niveaux, accentue les risques menaçant l'atteinte des objectifs de developpement durable. Pour analyser cette situation, COREUM Consulting a étudié le contexte, les risques et les opportunités pour penser la coopération internationale, à travers une approche systémique basée sur 6 composantes : le choix des thématiques, l'accès aux financements, la définition des programmes, le choix des partenaires, le transfert de valeur aux bénéficiaires, et la mesure des impacts réels.
L’Agenda 2030 des Nations Unies, et ses Objectifs de Développement Durable (ODD), établissent un cadre commun pour conjuguer les efforts des pays et de leurs parties-prenantes économiques, civiles et citoyennes, afin de transformer le monde dans lequel nous vivons. L’interdépendance des trois piliers économiques, environnementaux et sociaux nécessite une approche concertée et coordonnée, soulignant l’importance de l’ODD n°17 sur la coopération et les partenariats. Ce cadre fait échos et intègre de nombreuses autres initiatives dans le monde, dont l’Accord de Paris sur le changement climatique, ou encore les résultats issus de la Conférence internationale d’Addis Abeba sur le financement du développement .
Les ODD soulignent l’importance d’une approche pragmatique basée sur la priorisation des besoins réels de chaque contexte sur les dimensions économiques, sociales et environnementales, intégrant l’ensemble des parties prenantes locales, régionales et internationales afin de faire face à la complexité des enjeux.
Une des clés d’une coopération internationale réussite est l’importance du cadre déontologique et de la bonne foi dans l’engagement des négociations devant aboutir sur des partenariats productifs et efficaces. Le Sud, au sens large, a bénéficié ces dernières décennies d’importants progrès dans le développement humain, le commerce, les investissements et l’accès aux technologies, dans un contexte de transformation progressive des dynamiques de coopération et de changement de leadership. En Amérique Latine, les retours d’expérience d’initiatives de coopération régionale ont permis d’identifier les atouts et les limites de certains programmes.
L’implication, la contribution et l’influence des acteurs du Sud ont considérablement augmentées, nécessitant de repenser les cadres de coopération afin de saisir les opportunités de cette nouvelle donne internationale, et de maîtriser les risques inhérents à la transposition des objectifs nationaux, parfois à visée électorale, dans une démarche collaborative et internationale pour le bien commun.
L’occasion est d’autant plus grande que la coopération Sud-Sud et la coopération triangulaire (Sud-Sud-Organisations Internationales) ont engagées une transformation longue mais crutiale, matérialisé d’une part par l’adoption de l’Agenda 2030 par les pays membres de l’ONU et la Seconde Conférence de Haut-Niveau sur la Coopération Sud-Sud qui a rassemblé les leaders internationaux en 2019 pour faire le bilan du Plan d’Action de Buenos Aires (BAPA), 40 ans après son adoption. Dans ce contexte et face aux risques mondialisés, les opportunités sont grandes pour explorer de nouvelles pistes d'une coopération internationale vertueuse et efficace. Afin de participer à cette réflexion, nous avons échangé avec un panel d'experts internationaux réunis en 2017 à Genève dans le cadre d'un séminaire sur la coopération Sud-Sud organisé par l'ONG Africa 21. Sur la base de ces discussions, COREUM Consulting s'est prêté à l'exercice d'ébaucher une cartographie des principaux risques à considérer.
Risques n°1 : l'effet de mode, ou l’importance d’une vision long terme
En effet, les acteurs institutionnels de la coopération internationale, et derrière eux les femmes et les hommes qui les composent, sont influencés par leur contexte immédiat et les sujets portés sur le devant de la scène par l’actualité. Or, la coopération internationale, en particulier pour accompagner la transition vers un modèle mondial durable encore mal défini, nécessite une vision de long terme et une constance dans les objectifs visés. L’Agenda 2030, et dans ses équivalences au sein de l’Agenda 2063 adopté par l’Union Africaine en 2013, sont autant d’opportunités d’établir un cadre commun pour le pilotage à long terme des stratégies de coopération internationale, bilatérales et triangulaires.
Risque n°2 : la concentration des financement, ou la nécessité d’une coordination internationale autour d’objectifs communs
Une fois les thématiques de coopération établies se pose la question du financement des programmes permettant d’atteindre les ODD. Compte tenu de la mutation des acteurs et de la complexification des mécanismes de la finance internationale, le besoin de coordination sur l’origine et l’allocation des flux revêt une importance primordiale.
Dans ce cadre, les pays du Sud, particulièrement en Asie, innovent en mettant en place de nouvelles banques de développement multilatérales (à l’exemple de la New Development Bank ou encore de l’Asian Infrastructure Development Bank) dont les objectifs ciblés et les capacités de financement importantes traduisent une stratégie commune pour le développement de certains secteurs, avec une vision à long terme qui se retrouve dans leurs mécanismes structurels, leur priorisation du développement local et leurs politiques prudentes sur l’endettement sur les marchés financiers.
Dans ce contexte de montée en puissance des nouveaux acteurs du Sud, les acteurs du Nord sont bousculés dans leurs positions, et confrontés à un besoin urgent de repenser leurs mécanismes de financement pour maintenir la pertinence de leur diplomatie économique. Sur le terrain cependant, le constat pour l’Afrique est parfois plus amer. Bien que cette nouvelle donne géopolitique apporte son lot d’opportunités pour financer le développement des pays les moins avancés, force est de constater que la concentration des financements sur certains secteurs , reste un risque majeur. Cette priorisation parfois excessive se fait au détriment d’une approche plus large et coordonnée, limitant de fait la capacité à transformer les contextes profonds en combinant les bénéfices économiques, sociaux et écologiques.
les acteurs institutionnels nationaux et internationaux disposent à travers le cadre des ODD d’une opportunité pour projeter les programmes dans une logique de complémentarité et d’efficacité collective
Face à ce besoin d’orienter des flux de financement de plus en plus diversifiés et nombreux, le cadre commun qui se construit autour des ODD fourni ici une opportunité stratégique lors des négociations internationale en fournissant un référentiel unique et structuré pour les pays et les bailleurs de fonds afin de s’entendre sur des accords de financement multilatéraux qui adresseront l’ensemble des dimensions nécessaire à l’émergence d’un modèle mondial de développement durable. Ce langage commun autour des enjeux du développement durable est donc l’opportunité de pallier le manque de coordination des activités de coopération internationale et de revaloriser les secteurs parents pauvres du financement internationale dans une logique de diplomatie multilatérale solidaire et pérenne.
Risque n°3 : la limitation des visions, ou l'impératif de penser toutres les dimensions du développement durable
Les ODD sont une opportunité pour élargir les horizons temporels de la coopération et pour assurer une coordination internationale des flux de financement entre les pays. Mais au-delà des intentions, la conception même des programmes de coopération internationale doit être repensée afin d’intégrer ces nouvelles dynamiques et assurer leurs transpositions sur les territoires et les populations bénéficiaires.
Par le passé, de nombreux programmes de coopération internationale se sont trouvés désavoués à la suite de leurs externalités négatives. L’importance de l’écho médiatique et le rôle montant de la société civile dans la dénonciation de ces travers ont obligé les bailleurs de fonds à analyser toutes les dimensions de leurs programmes, en particulier sur les volets sociaux et environnementaux. Le risque relève ici du besoin impérieux de prendre en considération l’ensemble de l’écosystème, dans son contexte économique, humain et environnementale, mais aussi dans ses flux et dynamiques de transfert de valeur, pour garantir la pérennité et la reconnaissance des résultats, tant par leurs partenaires internationaux que par les populations et acteurs économiques locaux.
L’exemple d’une analyse des risques présentée en 2018 sur la mise en place de la Zone de libres échanges africaine (CFTA — Continental Free Trade Area) mets en relief toute la complexité d’un programme de coopération régionale dont les bénéfices communs à long termes impliquent le traitement d’impacts négatifs à courts termes dans certains pays.
Face à ces enjeux, le cadre commun des ODD fourni une opportunité pour explorer de nouvelles formes de réponses, accélérer le transfert de connaissances et de technologies à impacts positifs, et ouvrir de nouvelles perspectives de développement inclusif, respectueux de l’environnement et soutenable économiquement. Cette mutation est déjà partiellement initiée, principalement portée par des bailleurs privés et les ONG qui n’hésitent plus à co-construire des programmes avec les bénéficiaires, dans le respect du patrimoine culturel et naturel des territoires. Le passage à échelle nécessaire pour relever les défis du développement durable ne sera possible qu’avec la participation des acteurs institutionnels nationaux et internationaux, et ces derniers disposent à travers le cadre des ODD d’une opportunité pour projeter les programmes dans une logique de complémentarité et d’efficacité collective aux services du bien commun.
Risque n°4 : les malversations, ou l'ancrage des valeurs de durabilité au cœur des activités
Dans le cadre des programmes de développement soutenus par la Coopération internationale, beaucoup d’acteurs savent ce qu’ils font (« le Quoi ? »), la quasi totalité a un avis sur la manière de le faire (« le Comment ? »), mais rares sont ceux qui peuvent unanimement se positionner sur le « Pourquoi ? ». Cette perte de vision n’est pas propre à la Coopération internationale et s’explique en partie par l’accélération du rythme de nos sociétés et l’importance donnée aux résultats immédiats.
Dans le cadre de la mise en œuvre des programmes sur le terrain, cela se retrouve particulièrement vrai dans le choix et l’accompagnement des partenaires locaux en charge de mettre en œuvre les activités. L’écart entre les besoins en compétences techniques pour la mise en œuvre des programmes et la disponibilité de ressources qualifiés sur le terrain rend difficile le travail de mise en œuvre et de pérennisation des impacts. Dans ce domaine, la redistribution entre central et local a déjà fait d’énormes progrès depuis une décennie.
La multiplication des acteurs entraîne un besoin croissant de contrôle souvent difficile et onéreux, et parfois volontairement limité, afin de palier au risque de malversation sur l'usage des fonds alloués aux activités.
Certes, ce risque est un problème à l’échelle mondial, mais il se retrouve particulièrement accru lorsque les écarts de richesses et les tensions socioéconomiques sont exacerbés. Les exemples ne manquent pas pour souligner les problèmes de bonne gestion des fonds alloués à des investissements ou au fonctionnement de projets de développement. Face au mécontentement et à la dénonciation montante de cette situation, les parties prenantes se rejettent la faute et lèvent souvent les bras au ciel.
En fondant leurs activités sur des objectifs de développement durable partagés par tous, les acteurs de la coopération bénéficient d’un socle de valeurs à même de construire une confiance accrue. Fondamentalement, ce ne sont pas les accords sur le développement durable qui changeront cette situation. Cependant, en insistant sur la place centrale des valeurs éthiques du développement durable dans les négociations, les stratégies nationales et les programmes de coopération intégrant les ODD se positionnent de facto dans un cadre déontologique fort.
De manière indirecte, les ODD sont l’opportunité de renforcer le cadre de fonctionnement, en amont durant les négociations et en aval à tous les niveaux de mise en œuvre des programmes. Dans ce domaine, de nouvelles initiatives témoignent du renforcement de cette approche préventive, en s’intéressant aux causes des malversations plutôt qu’aux conséquences, et en mettant les valeurs éthiques au cœur des formations adressées partenaires locaux et aux bénéficiaires. En fondant leurs activités sur des objectifs de développement durable partagés par tous, avec une sensibilisation importante à tous les niveaux, les acteurs de la coopération bénéficient d’un socle de valeurs à même de construire une confiance accrue.
Si l’on dit que « la confiance n’exclue pas le contrôle mais l’impose », ce contrôle trouvera de nouveaux leviers en étant mieux accepté et perçu comme une nécessité collective pour garantir le bénéfice commun. Corolaire de ces valeurs déontologiques partagées, la pérennité même des activités de coopération se retrouve améliorée par l’appropriation et le développement continue des initiatives par les bénéficiaires au-delà de la durée des programmes.
Risque n°5 : les données terrain et la mesure d’impacts, ou comment construire une démarche apprenante constante dans le temps
Dernière composante de notre analyse, la mesure des impacts reste encore le maillon faible des projets liés aux ODD ou à la lutte contre le changement climatique. La complexité même de ce domaine est historiquement reconnue. Aux indicateurs de niveau de décaissement — et donc théoriquement de réalisation des programmes — suivis par les bailleurs de fonds, s’opposent la réalité parfois décevante des bénéfices réelles et des impacts visibles dans les pays où les programmes sont mis en œuvre.
Ce constat ne doit pas faire d’ombre aux succès existants, mais il questionne sur la notion de « retour sur investissement », pilier de la doctrine économique dominante, que la coopération anglo-saxons ont conceptualisé à travers la “value-for-money”. Le dernier risque identifié ici réside donc dans la difficulté de construire sur le terrain des dispositifs de mesure des résultats adaptés aux objectifs de transformation visés par les programmes de coopération.
Le risque lié à la mesure d'impact réside dans la reconnaissance de ces modèles, leur partage et leur évolution dans le temps, maintenus et alimentés par les différentes parties prenantes dans un horizon suffisamment long pour permettre l’affirmation du changement.
Là encore, les ODD apportent une base intéressante pour réfléchir sur les modèles de suivi et d’évaluation des programmes de coopération internationale, en apportant une structure commune pour la construction d’indicateurs de résultats, financiers et extra-financiers. Si quelques standards commencent à se démarquer, le chemin est encore long vers un standard commun et validé pour la mesure des impacts ESG. Néanmoins, les Objectifs de développement durable, dans le consensus révélé par la convergence des Agendas 2030 de l’ONU et 2063 de l’UA, sont une opportunité pour explorer et co-construire les tableaux de bord qui permettrons de mesurer et de valoriser les progrès réalisés, et d’ajuster le cas échéant les stratégies individuels et collectives en vue de construire un monde meilleur.
En conclusion, comprendre, prendre et apprendre
« Make the world a better place » ironisait la série satyre sur la Silicon Valley. Finalement n’y a-t-il pas une similarité intéressante entre ce modèle de la nouvelle économie et les investissements massifs de la coopération internationale dans des programmes aux débouchés incertains ? Nous pensons justement qu’il existe une opportunité pour les représentants et leaders des pays d’Afrique, et leurs partenaires régionaux et internationaux du Sud et du Nord, de s’inspirer des succès du monde de l’innovation pour, ensemble, renforcer l’agilité, l'efficacité de la coopération internationale, tout en capitalisant sur l'opportunité de construire une trajectoire stable inscrite dans un horizon long face à l’impératif mondiale du développement durable.
Note de l’auteur :
Ces éléments ont été discutés et enrichis des échanges ayant eu lieu durant la Conférence sur la Coopération Sud-Sud organisée en 2018 à Genève par l’ONG Africa 2021, en partenariat avec UNCTAD.
Le cadre d’analyse s’appuie sur l’agenda pour le développement durable — Agenda 2030 adopté en Septembre 2015 par l’Organisation des Nations Unies, au sein duquel sont fixés 17 Objectifs de Développement Durable (ODD, SDG en anglais). Ces objectifs, déclinés en cibles, elles mêmes associées à un bons nombres d’indicateurs, fournissent un cadre commun et interconnecté pour la préparation et la mise en œuvre des politiques nationales et internationales afin d’assurer la transition vers un modèle de développement plus soutenable et profitable pour tous.
Je tiens à remercier les participants suivants pour la qualité de nos échanges :
- Ms. Ana Maria Alvarez Herrera, ancienne économiste auprès de l’UNCTAD ;
- Mr. Victor Ovalles Santos, alors Senior Economic Affairs Officer, Division on Globalization and Development Strategies, à l’UNCTAD
- Mr. Nassim Oulmane, alors Chief Officer à la Green Economy and Natural Resources Section — Special Initiatives Division, de l’UN Economic Commission for Africa (UNECA), Addis Ababa, Ethiopie
- Mr. Daniel Poon, alors Economic Affairs Officer, Division on Globalization and Development Strategies à l’UNCTAD
- Mr. Christian Knebel, alors Trade Analysis Branch — Division on International Trade in Goods, Services, and Commodities, à l’UNCTAD
- Ms. Matfodhi Riba, alors Economic Affairs Officer, LDC Section, Division for Africa, Least Developed Countries and Special Programmes, à l’UNCTAD
- Ms Aïssatou DIALLO, alors Senior Trade Promotion Officer, Office for Africa, Division of Country Programmes, à l’ITC